Coronavirus: la lettre émouvante d'une pédiatre à ses jeunes patients

Sandra Pannizzotto est pédiatre au CHR de la Citadelle à Liège. Elle écrit une lettre ouverte à Ibrahim, Loïc, Sofia, Louise et tous les autres jeunes patients "victimes collatérales (comme toujours) de cette guerre contre le coronavirus."

À Ibrahim, Loïc, Sofia, Louise et les autres…

Ça a commencé comme une info inespérée : le truc improbable qui même en rêve semblait trop beau. Une dame élégante, en tailleur noir, devenait en un instant l’idole des jeunes. Du jour au lendemain : la quille ! Finie l’école pour une durée indéterminée : Netflix et Tik Tok à gogo : pour un peu on vous aurait défini la Liberté. Même pour les plus petits d’entre vous, ce moment devenait doux : papa et/ou maman à la maison, présents pour la panade, les jeux et le dodo : c’était fantastique ! Ho bien sûr, il y avait bien cet air soucieux sur leur front mais à l’âge qui fait de vous des patients dits "pédiatriques" on passe vite sur ces yeux froncés quant on peut déployer un train en bois dans le salon ou risquer un TOP1 sur Fortnite.

Vous, on vous a vite rangés, catalogués, balayés. On vous a qualifié de "vecteurs massifs mais peu malades", pratiquement pas atteints, bref épargnés.
Epargnés. Oui c’est vrai, d’un point de vue épidémiologique et infectiologique : c’est presque miraculeux. Comme si le message était celui qui régit ma profession : "vous êtes précieux".

Dans ce combat où mes collègues intensivistes adultes donnent sans compter et où succombent ceux qui portent notre Histoire, je ne peux m’empêcher de penser à vous : victimes collatérales (comme toujours) de cette guerre.

Vous, qui la première euphorie passée, avez vu vos parents inquiets pour leur boulot et qui avez compris que les copains, ce serait sur Insta seulement et pas au terrain de sport de la commune.

Vous, qui coexistez chaque jour aux côtés de votre famille dans un environnement confiné ; sans un espace d’intimité, sans la possibilité de s’extirper de conflits exacerbés.

Vous, qui voyez vos parents rivés aux chaînes d’info du pays qui a vu naître vos aïeux - et parfois vous-mêmes -, pendus au téléphone avec la famille restée là-bas, à la recherche de ces mots magiques : "nous allons bien".

Vous, que l’on veut tant protéger qu’on en oublierait de vous soigner… vous que le Covid-19 atteint si peu mais qui fait en sorte que les autres maladies aient le champ libre.

Vous, qui voyez partir pour l’hôpital des proches sans les revoir parfois… Qui apprenez le décès de vos grands-parents sans comprendre pourquoi personne dans la famille élargie ne vous prend dans les bras pour vous consoler, ni même pourquoi vous ne pouvez déposer une fleur blanche sur un cercueil.

Vous que ce confinement isole dans la violence domestique…

Votre grande résilience

Mais vous, qui êtes aussi ces êtres fantastiques capables de résilience en pleine catastrophe : vous qui retrouvez vos puzzles, découvrez sur Netflix une vieille série qui parle d’amis dans le New York d’avant 2001 et qui organisez des récrés par face time.

Vous qui cuisinez des gâteaux sur les conseils téléphoniques de vos grand-mères, qui devenez bricoleuses, couturiers ou acrobates.

Vous, qui avez redécouvert l’horizon devant votre balcon, qui vous surprenez à rêver devant une mappemonde et esquissez les prémices d’une chanson.

Vous, qui recensez les oiseaux et les insectes du jardin et avez appris à observer les étapes du bourgeonnement d’un myosotis dans un parterre…

A vous, venus de tous milieux, porteurs ou non de pathologies chroniques, je voudrais vous dire que nous, les soignants pédiatriques, nous sommes là : prêts, organisés et soucieux des moindres de vos maux ; qu’aujourd’hui comme demain quand il s’agira d’écouter votre récit, penser et panser vos plaies, entendre l’angoisse de vos parents, nous serons là.

Parce que sans vous, il n’y a pas de demain possible, je voudrais dire : Bravo.

La lettre a également été publiée dans La Libre

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