«Les pédiatres ne sont pas des médecins pour les poupées» (Pr Ann De Guchtenaere)

Lors d’une récente séance d’audition à la Chambre, à propos d’une réforme en profondeur des droits du patient, la Pr Dr Ann De Guchtenaere (AZ Damiaan, Ostende) était parmi les personnes entendues à propos de la question de la pédiatrie, des pédiatres et de la position de l’enfant au sein de l’hôpital.

Trop de préjugés courent encore dans notre société à propos de la pédiatrie. « L’image véhiculée par les media à propos des enfants en général et des enfants hospitalisés en particulier est celle des bisounours, des cliniclowns, des bulles de savon… Les pédiatres finissent par être considérés comme des médecins de poupées. Cette image ne colle évidemment pas à la réalité » a déclaré la pédiatre. « Les soins pour enfants sont centrés sur eux, sur leur famille et sur leur développement personnel. C’est bien plus que des soins médicaux tout court ».

Pour souligner l’importance de la pédiatrie, elle a présenté une série de données, en ajoutant qu’on disposait de trop peu d’informations sur les soins aux enfants dans notre pays. Chaque année on dénombre 1.857.754 consultations pédiatriques en ambulatoire et 158.865 hospitalisations. En d’autres termes, chaque année 7,7% des enfants sont admis en hôpital.

Une « appendice » aux soins pour adultes

Les compétences du pédiatre ne sont pas (assez) reconnues. Cela apparaît clairement dans la Loi Qualité du 22 avril 2019. Ces compétences n’y sont décrites que de manière vague. Il y a peu de fondements structurels et de cadre pour les enfants et pas de coupole de coordination pour les organisations de patients pédiatriques.  « Les enfants et les jeunes patients sont toujours considérés comme une « appendice » aux soins pour adultes. L’European Association for Children in Hospital (EACH) a pourtant rédigé un projet exposant dix droits des enfants malades et de leur famille. Le huitième de ces droits précise : « Les enfants sont traités et reçoivent des soins par du personnel médical, infirmier et autre spécifiquement formé pour les soins aux enfants. »   

La Dr Catherine Fonck (Les Engagés) a attesté que pour un enfant, l’admission dans un service d’urgence engendrait un énorme traumatisme. « Il y a bien dans ces services des aspects prévus pour les enfants mais les personnes entendues ont-elles des propositions à émettre en vue de mieux adapter encore aux enfants les services d’urgences ? » s’est-elle enquise.  Et Sophie Rohonyi (DéFi), lors de sa visite au CHU St-Pierre, s’est émue de la situation d’enfants qui séjournent à longueur de mois à l’hôpital parce qu’il manque des places dans les institutions et les familles d’accueil. « Pour les enfants, c’est extrêmement stressant »

Des compétences spécifiques

La loi sur les droits des patients stipule pourtant que « suivant son âge et sa maturité, le patient est associé à l'exercice de ses droits ». Les soins aux enfants requièrent des compétences spécifiques. « Cela peut concerner, par exemple, l’utilisation d’un langage approprié » a précisé la Pre De Guchtenaere. « On ne peut pas demander à un enfant de ne pas bouger mais on peut lui demander de rester ‘calme comme une image’ lorsqu’il doit subir un scanner. Une autre bonne pratique consiste à laisser le contrôle à l’enfant. On peut par exemple laisser l’enfant choisir si le médecin examine d’abord l’oreille droite ou l’oreille gauche. Ces petites choses font une grande différence dans le soin aux enfants. »

« Il est très important également de se préoccuper de l’enfant lorsqu’un de ses parents a un problème. Beaucoup de médecins n’y pensent pas. Pensons aux enfants de parents qui souffrent de troubles psychiatriques. Lorsqu’un diagnostic est posé, mieux vaut intégrer l’enfant dans les soins. »

Les enfants ne constituent pas un groupe vulnérable 

« Est-il important d’avoir systématiquement un urgentiste orienté vers les enfants ? » poursuit-elle. « Non, il faut un pédiatre présent aux urgences mais pour cela il faudrait former suffisamment de pédiatres. Il s’avère qu’un patient sur cinq qui se présentent aux urgences est un enfant. Il importe donc de placer au bon endroit des personnes compétentes, de manière à ce qu’on ne pratique pas d’examens complémentaires inutiles. Avec des personnes moins compétentes, on recourt à un surplus d’examens et on provoque ainsi un surplus d’angoisse dans le chef de l’enfant. »

« Les enfants constituent-ils un groupe vulnérable ? Non. Les enfants ne sont vulnérables que dans la mesure où les parents les rendent tels. »

Lorsqu’un enfant est en traitement, cela ne concerne pas seulement l’enfant lui-même mais aussi les parents et parfois même les grands-parents. Cela demande du temps et des compétences pour les consulter et prendre une décision partagée, dit encore la professeure. « Cela n’est pas honoré et ne se retrouve donc pas dans les bases de données. La mise à l’écart des parents reste difficile. A partir d’un certain âge de l’enfant et du jeune, il est pourtant nécessaire de voir séparément le jeune patient et ses parents. »

Sous-représentés, les pédiatres travaillent « gratis »

« Le nombre de pédiatres dans la commission des sous-quota est diminué de moitié. Il y a déjà un déficit en pédiatre et cela va s’aggraver » prédit la Dre De Guchtenaere. « Les pédiatres sont sous-représentés dans les organes de l’Inami, au Conseil Technique Médical, là où est décidé le financement. » Elle ne plaide pas pour des représentants des pédiatres mais les représentants devraient porter davantage la perspective de la pédiatrie. 

Elle n’apprécie pas que les enfants et les jeunes fassent l’objet d’une partie séparée dans la loi sur les droits des patients, « mais c’est une simple opinion personnelle. »

Elle en vient finalement à la problématique du « travail gratuit ».  « Quand on peut éviter que l’enfant de soit hospitalisé pour un traitement, c’est préférable et on s’efforce d’aider l’enfant en clinique de jour ou à travers des soins à domicile. Si un enfant vient en clinique de jour, il n’y a pas de financement. Ce n’est pas prévu pour un hôpital pédiatrique de jour alors qu’il y en a un pour un hôpital chirurgical de jour. »

« Ce type de soins est donc gratis et c’est souvent ainsi que cela se passe. Le financement est basé sur le prix du journalier du lit. Quand un enfant est admis à titre momentané, une observation s’impose pour s’assurer qu’il pourra retourner en toute sécurité chez lui. Le pédiatre doit passer le voir à plusieurs reprises. Il n’y a pas de financement pour cela. On m’appelle souvent la nuit pour évaluer l’état d’un enfant. Quand la situation d’un enfant s’aggrave, il est transféré en soins intensifs. Ce n’est pas rémunéré. Je me tire gratuitement de mon lit. Je pratique mon métier avec beaucoup d’enthousiasme et d’affection mais ce n’est finalement pas tenable ». 

Lire aussi: Enfin garantir aux enfants des soins spécialisés comme aux adultes (HUB)

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Derniers commentaires

  • Harry Dorchy

    23 février 2023

    LUTTE POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA DIABETOLOGIE PEDIATRIQUE EN BELGIQUE PAR LE PROF HELMUT LOEB (1,2)
    « Au milieu des années cinquante, moment où l’auteur de ces lignes commence sa formation en pédiatrie, celle-ci était considérée comme étant une spécialité par rapport aux disciplines de base que sont la médecine interne, la chirurgie et la gynécologie-obstétrique. Les «sous-spécialités» de la médecine interne, de l’adulte essentiellement, sont quasi inexistantes pour l’enfant...
    ... Au cours des années soixante, la pédiatrie cesse enfin d’être une «spécialité» pour devenir la «médecine interne» de l’enfant et faire partie dès lors des 4 disciplines de base (Arrêté Royal de 1965). Les diverses sous-spécialités, ou mieux sur-spécialités, vont pouvoir se développer, la clinique de diabétologie pédiatrique va prendre forme peu à peu et... ce fut le début d’un long conflit avec les internistes-endocrinologues qui soignaient aussi des enfants...
    ...Il était donc urgent de créer des unités de diabétologie pour enfants et adolescents en éduquant les pédiatres à cette discipline d’autant plus qu’en dehors de Bruxelles, seule Liège offrait une structure pédiatrique pour les enfants diabétiques analogue à celle de Bruxelles, à l’initiative du Dr Christian Ernould. En août 1969, aidé par l’«Oeuvre Nationale de l’Enfance (ONE)», la première colonie pour enfants diabétiques eut lieu à Saint-Idesbald sur la côte belge. Une équipe enthousiaste, bien que novice dans l’organisation d’un tel séjour, a rapidement maîtrisé les analyses d’urine, les injections d’insuline et l’adaptation des doses, l’équilibre alimentaire, les séances d’information ainsi que les activités de loisir : natation, vélo, jeux de plage, «surboums»), etc....
    ... Dès l’année suivante, l’organisation est devenue interuniversitaire et de jeunes collègues des deux régimes linguistiques ont ainsi pu entamer ou parfaire leur formation, ce qui leur a permis, par la suite, de développer cette discipline dans leur hôpital. »

    Références :
    1. Loeb H. Lutte pour le développement de la diabétologie pédiatrique en Belgique. Rev Med Brux 2010 ; 31 (Suppl « La Diabétologie pédiatrique. En hommage au Professeur Harry Dorchy ») : S 21-4.
    2. Dorchy H. Kinderen en adolescenten met type 1 diabetes in België. In : Het Epos van diabetes type 1 in België. Ivo De Leeuw, Pierre Lefèbre, Raoul Rottiers, ed, Garant, Antwerpen-Apeldoorn, 2017 :67-74.